Ça a deux bras, deux jambes, et une tête dépourvue d’orifices.
Ça a deux yeux. Bipède et binoculaire. Les bras longs comme des tisonniers n’ont pas encore perdu leurs appendices. Les pattes trapues, larges sur leurs appuis en contact avec la terre pleines de sédiments, de minéraux. D’informations.
Ça avance avec difficulté dans la broussaille d’une forêt d’ubac pas encore dégrossie par les engins roulants des humain⋅es. Quelques heures après l’éveil, la synthèse accélérée n’agrège que les premiers rudiments de survie, de déplacement.
Instinctivement, il faut descendre, suivre le mouvement de la gravité, le long de ces pentes obstruées par les grands résineux qui dégorgent quelque part.
Ailleurs n’est pas encore un concept. Seul l’attraction terrestre est une réalité, force ressentie dans un corps sans charpente conçu comme un simple capteur biologique. Petite chose agglomérée à la hâte. À usage unique.
Ça a deux yeux, deux globes sans paupières, mais ça n’a encore rien vu. Ça avance plié en avant, lentement dans les arbustes et les ronces, et ça voudrait déjà tout voir du monde. Tout découvrir. Curiosité machine programmée dans les gênes, cette force-là est aussi grande que le mouvement qui incline vers le sol. Tout voir, tout connaître. En appui sur les grandes tiges de ses bras, des pieds trop larges qui écrasent les épines, ça ne connaît encore rien du monde, de l’indexation sur les livrets d’épargne, des bordereaux de caisse, et des garanties à l’embauche.